Perlemuter, par Stephen Hough

Un des moments les plus mémorables de mes années passées à étudier au Royal Northern College of Music à Manchester fut l’opportunité de jouer lors de cours de maître pour le grand pianiste français Vlado Perlemuter. Ces classes étaient tenues dans ce qui était connu sous le nom d’ « organ room », et c’était par conséquent approprié que la première pièce que je lui ai jouée fut le Prélude Choral et Fugue du grand organiste César Franck. C’était inspirant de savoir que le petit et discrètement élégant home assis à ma gauche et portant une écharpe en laine avait étudié l’œuvre avec Alfred Cortot, et avait été au centre d’une époque incomparablement riche dans la vie pianistique parisienne - soit en contact direct ou bien à seulement une génération de distance de toutes les grandes figures de la musique française de l’époque. Il semblait aimer ce que je faisais, bien qu’il insista sur la gravité de l’atmosphère, le sérieux au cœur de la vision de Franck. « Ne jouez pas ce pasasge comme Meyerbeer » commenta-t-il alors que je conduisais le contour d’une phrase avec une inflexion trop douce. « Comme une procession » fut sa remarque au début du Choral, insistant sur l’esprit liturgique. Il inscrivit quelques doigtés intéressants dans ma partition, y compris sa suggestion de jouer les arpèges du début avec le pouce de la main droite sur les premières notes thématiques (j’ai fait cela un temps par la suite mais j’ai ensuite trouvé que les pianos Steinway brillants n’étaient pas vraiment adaptés à cela. C’était trop simple de trouver des notes dans les arpèges suivants …, mais je peux comprendre que sur des instruments plus vieux et plus doux, c’aurait été un merveilleux moyen de phraser cette mélodie particulière).

Une de ses obsessions était qu’on ne devrait jamais répéter une note avec le même doigt quand ça fait partie d’une ligne mélodique. Cette idée prit forme quand je jouai pour lui la quatrième Ballade de Chopin avec ses tendres répétitions au thème principal ; et, en effet, c’est une compréhension du doigté et de son rôle dans l’articulation de la phrase qui nous vient de Chopin en personne. Ce qui doit être calculé artificiellement par un doigt devient une phrase organique quand une fois que la main entière est utilisée – moulant littéralement les contours de la mélodie avec élasticité et naturel. L’importance de la main gauche était souvent mentionnée également lors des classes, pas tant en vue de mettre en dehors des voix, mais afin de bâtie et d’affiner la base harmonique sous la ligne mélodique. Ainsi les Etudes de Chopin, où la difficulté semble résider dans les mouvements rapides des dessins de la main droite, deviennent virtuoses dans le sens le plus large du terme quand la main gauche est jouée avec une maîtrise totale et avec une palette de coloration subtile.

Pour un homme qui avait eu tant de liens musicaux, il était bon d’observer la modestie de Perlemuter. Des noms qui auraient pu être lâchés régulièrement étaient discrètement évoqués seulement afin d’insister sur un point : « Ravel m’a dit de faire ça… ». (Difficile de débattre de ça !). En effet, ses commentaires étaient parfois si silencieux que seuls ceux assis aux premiers sièges étaient capables de les entendre. Il donnait une leçon avec des personnes présentes, il ne divertissait pas le public. Il n’enseignait que le répertoire avec lequel il se sentait complètement chez lui, et sur la notice de l’école de piano était épinglée une feuille de papier avec les œuvres qu’il était préparé à écouter : tout Chopin, tout Ravel, mais uniquement des sélections, bien qu’assez variées, d’autres compositeurs. Les omissions étaient intéressantes : pas de Russes d’autant que je me souvienne, ce qui pouvait sembler assez étrange pour quelqu’un aux origines juives et polonaises ; et pas d’œuvres contemporaines – moins étonnant pour quelqu’un qui avait vécu longtemps et qui avait vu beaucoup d’ « époques contemporaines ». Quoi qu’il en soit, à une occasion, quand il nous resta un peu de temps, je me suis proposé de lui jouer le deuxième concerto de Rachmaninov. Il a ri et dit que ça n’était aps une pièce qu’in enseignait mais qu’il serait heureux de l’entendre. Il n’eut rien à dire, non pas parce que c’était particulièrement bien joué (!), mais parce que ça semblait êter étranger à son monde particulier de raffinement et de modération, où l’expression était toujours tempérée par l’élégance. Il n’était absolument pas question se sousestimer cette pièce ou de faire preuve d’aucune condescendance ; c’était simplement dans un autre langage qu’il trouvait difficile ou inutile de parler. Malgré toutes ses origines slaves et sémitiques, Perlemuter transmettait la musique avec le plus pur des accents français ; et, dans le répertoire où cela était approprié, il semblait alors que c’était la seule façon selon laquelle ça pouvait être joué.

Stephen Hough, mars 2003.

 

Copyright

 

Contrat Creative Commons
www.vladoperlemuter.com d'Olivier Mazal est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Paternité - Pas d’Utilisation Commerciale - Pas de Modification 3.0 non transcrit.